LA SECONDE CATARACTE La Grande Cataracte était impressionnante et grandiose. Un monde minéral, sous la forme d'îlots endiguait l'eau salvatrice. Au niveau de Mirgissa, elle révélait sa puissance et splendeur. L'ocre des sables, le noir de la cataracte et le bleu unissant ciel et terre, reproduisaient chaque matin le premier jour de la création. De multiples chenaux agités par de gros tourbillons se frayaient un passage parmi les blocs de granit. Depuis le rocher d'Abousir, elle confirmait sa majesté. Aujourd'hui, la Grande Cataracte n'est plus. Il en est de même pour "le ventre de pierre", prolongement minéral d'environ 100 km vers le sud. Un lac baptisé Nasser s’y est installé. Par respect et devoir de mémoire, nous l'appelons comme beaucoup, lac Nubia. Cet ensemble rocheux a toujours été un verrou de protection. Néanmoins, la première incursion égyptienne se produit vers la fin du IVe millénaire. Un roi de la première dynastie massacre des populations du Groupe A dans la région du Djebel Suleiman. Un bas-relief commémorant cette expédition avait été gravé sur un rocher proche de la Seconde Cataracte. Selon Francis Geus, l'Egypte, soucieuse de contrôler les régions du sud où elle se procure hommes et matières premières, hésite longtemps à passer cette zone difficile. Mais au nord de Bouhen, en face de Ouadi Halfa, les fouilles du Professeur Emery mettent au jour une ville fortifiée avec une fonderie de cuivre datant déjà de l'Ancien Empire. C'est au Moyen-Empire que l'Egypte contrôle le nord de la Seconde Cataracte jusqu'à Semna. Elle y construit des forteresses. En effet, sous Sésostris 1er ( 1964-1919 av. notre ère), les forts de Bouhen et de Kor (sur la rive gauche du Nil en aval de la Seconde Cataracte) sont probablement des unités économiques. L'emplacement de Kor au sortir des rapides de la Grande Cataracte est un poste avancé gérant l'envoi des cargaisons vers l'Egypte. Son successeur, Amenemhat II (1919-1881 av. notre ère) fait construire, en amont des rapides, la forteresse de Mirgissa, contrepoint de celle de Kor. Elle contrôle la navigation des bateaux en provenance du sud. Durant la Seconde Période Intermédiaire, elle est occupée par une garnison Kerma puis au Nouvel Empire, à nouveau, par les Egyptiens. Un cimetière d'enfants de l'époque napatéenne et les vestiges d'un bâtiment chrétien suggèrent une continuité d’occupation.
|
View over the Second cataract of the Nile before its immersion, taken from the Abu-Sir rock (Photo Rex Keating 1960) / Vue sur la Seconde cataracte du Nil avant son immersion, depuis le rocher d'Abou-Sir (Photo Rex Keating 1960)
Granitic rip-rap of the Great cataract (Second cataract or belly stone) blocking the flow of the Nile (Photo R. Keating 1960) / Enrochements de la Grande cataracte (Seconde cataracte ou Ventre de Pierre) barrant le cours du Nil (Photo R. Keating 1960)
Looking south across the Second cataract through the main fortified gateway of the Shelfak fortress (Photo R. Keating 1960) / Vue de la Seconde cataracte en direction du sud depuis l'entrée principale fortifiée de la forteresse de Shelfak (Photo R. Keating 1960)
Barrier of granitic islands blocking the flow of the Nile between the ruins of the fortresses of Semna East and Semna West (Photo R. Keating 1960) / Barrière d'ilôts granitiques barrant le cours du Nil entre les vestiges des forteresses de Semna Est et de Semna Ouest (Photo R. Keating 1960)
The fortress of Bouhen was situated on the western side of the Second cataract of the Nile (Photo R. Keating 1960) / La forteresse de Bouhen était située sur la rive occidentale du Nil au niveau de la Seconde cataracte (Photo R. Keating 1960)
Defensive system inside the fortress of Bouhen : patrol way and embrasures (Photo R. Keating 1960) / Système défensif aménagé à l'intérieur de la forteresse de Bouhen : chemin de ronde avec meurtrières (Photo R. Keating 1960)
|
La forteresse est partiellement étudiée par une équipe américaine en 1931-1932. Jean Vercoutter en reprend les fouilles lorsque l'Egypte est autorisée par le Soudan à construire le haut-barrage d'Assouan. L'implantation pharaonique se révèle impressionnante avec : - une forteresse, une ville fortifiée, une ville ouverte, des nécropoles, un quai, un fortin et une glissière qui permet de tracter les bateaux ou leur cargaison, par voie de terre d'une extrémité à l'autre des rapides qui barrent le fleuve, dans ce secteur - l'emplacement de Mirgissa est doublé de la présence d'un port naturel bordé d'une petite plaine - en face, sur un îlot, le fort de Dobenarti date de la même époque. Il donne à l'ensemble une importance stratégique. Selon Francis Geus qui a travaillé à Mirgissa, cette fouille est l'entreprise la plus colossale à laquelle Jean Vercoutter s'attaque. Elle se déploie sur plus de 2.5 km le long du Nil dans un environnement essentiellement minéral. Une surprise de taille est réservée à l'archéologue lorsqu'il découvre dans un petit sanctuaire dédié à Hathor, "maîtresse d'Iou-ka-na", que le fameux fort d'Iken des textes égyptiens, n'est autre que la forteresse de Mirgissa. Les excavations mettent au jour une quantité impressionnante d'armes : des lances et des javelots avec des pointes de silex (env. 400) importées d'Egypte. Les hampes avaient été dévorées par les termites mais laissaient des empreintes sur le sol. Le fort de Semna-sud est probablement construit pour protéger la forteresse-entrepôt de Mirgissa. Devant la montée en puissance du royaume de Kerma, Sésostris III (1872-1854 av. notre ère) fait ériger en l'an 8 de son règne, une stèle à Semna-sud, extrémité du Batn el-Haggar pour bien marquer la zone d'influence du territoire égyptien et de façon à empêcher qu'aucun Nubien ne franchisse la frontière, que ce soit par terre ou en bateau, sauf ceux qui viendraient faire du commerce à Iken (Mirgissa). En l'an 10 de son règne, il installe son camp à Saï. Six ans plus tard, il renforce le Batn el-Haggar et deux autres stèles sont érigées à Semna-ouest et Ouronarti. Dans les textes, il emploie la menace et le mépris dissuadant tout Koushite de prendre les armes. Les forts de Semna-ouest, de Koumna et Ouronarti sont complétés par une ligne de défense exceptionnelle avec Faras, Shelfak et Askout. Les fortifications de Bouhen et de Kor sont agrandies. Les forteresses de Sésostris III sont moins importantes mais mieux adaptées à une stratégie militaire. Le commandement de cette "ligne Maginot" se fait sans doute à Bouhen. Les forteresses se dressent le long du fleuve aux endroits stratégiques. Elles portent des noms agressifs, par exemple "Celle qui réduit les pays étrangers". Elles épousent la configuration du terrain, un demi-cercle à Askout, un triangle à Ouronarti. Leur superficie est impressionnante. Bouhen a été évalué à 27 000 m2, Mirgissa est plus vaste encore. La forteresse est la résidence du gouverneur, le siège de l'armée et de l'administration. Elle abrite des bâtiments officiels et de petites maisons. Les fouilles confirment la présence de greniers indispensables pour une vie en autarcie. Quant au domaine religieux, les textes mentionnent la présence d'un clergé. Hors de l'enceinte, des ateliers forment des zones artisanales. Un port complète l'infrastructure des forteresses avec des entrepôts dont certains ont été identifiés à Kor, Askout, Ouronarti et Mirgissa. Il faut atteindre la XVIIIe dynastie pour que les forteresses soient à nouveaux utilisées sans avoir le caractère défensif comme au Moyen-Empire. De Bouhen à Abou Simbel, des implantations égyptiennes bordaient le Nil : Agin, Debeira ouest et est, Aksha, Serra ouest et est, Faras ouest et est. Avec le lac de retenue, toutes les constructions en brique crue se sont délitées. Beaucoup avaient presque quatre mille ans. Voir la carte de la Seconde Cataracte et du Batn el-Haggar sur "sites archéologiques" page d'accueil de la zone 5
|