Une brève histoire du Nil : La traversée de la Nubie.
Par Jean-Claude GUEZOU, Docteur ès Sciences Naturelles, Chercheur au CNRS Le document dans son intégralité, incluant les graphiques, est téléchargeable en cliquant sur ce lien
L'histoire factuelle du Nil peut être envisagée à partir de la fin de l'Eocène ou dès l'Oligocène soit entre 45Ma et 30 Ma. Trois facteurs liés interviennent dans la morphologie et l'hydrologie naissantes du fleuve: La déformation de l'écorce terrestre (la tectonique), le volcanisme et la climatologie. La tectonique des plaques d'abord, puisque depuis la fin du Crétacé, les aires océaniques sont modifiées par la formation des chaînes de montagnes téthysiennes (Himalaya issue de la migration septentrionale puis la collision de la plaque indienne avec l'Eurasie) et l'ouverture de l'océan austral suite à la séparation du continent antarctique de l'Australie et du continent sud Américain. Une configuration nouvelle des domaines océaniques australs à qui l'on associe une réorganisation des climats terrestres et le développement du refroidissement polaire.
Entre 35 et 27 Ma (Yrgu et al., 2006, Marty et al. 2008, McDougall & Brown, 2009) une vaste aire volcanique (basaltes et rhyolites) s'installe sur la région nord orientale de l‘Afrique, en particulier sur l'Ethiopie et le Kenya. Plus modestes que les traps du Deccan en Inde, les traps d'Ethiopie paraissent avoir une signification analogue (Segev, 2002, Courtillot & Renne, 2003), en terme de synchronisme, avec un événement bioclimatique majeur (glaciation, réduction de la faune terrestre) et l'initiation d'une rupture intracontinentale : l'ouverture de la mer rouge et du golfe d'Aden, l'expansion de l'Océan indien.
En partie synchrone avec le volcanisme Oligocène, mais surtout à l'issue de ce dernier, les différents segments du Rift Est Africain ( Morley et al.,1992, Williams & Talbot, 2009) se mettent en place, décrivant un chapelet de fossés d'effondrement (le rifting) cernant un môle occupé par le lac Victoria, puis se prolongeant vers le nord en direction de l'Afar et du Yémen. On distingue : - le rift occidental occupé par la succession de « grands lacs » donnant naissance au Nil Blanc. - Le rift oriental, rift du Kenya, relayé au nord par le rift d'Ethiopie formant lui-même une jonction triple avec la mer rouge et le golfe d'Aden. |
Figure 1 : Carte géologique et structurale de l’Afrique nord orientale
Figure 2 : schéma de l’évolution d’un « Panache Mantellique »
Figure 3 : schéma du « Footwall uplift »
Figure 4 : Stade d’ouverture de la Mer rouge. Position du Panache, distribution régionale du volcanisme, de l’effet thermique et topographique
Figure 5 : coupe géologique simplifiée du delta du Nil
Figure 6 : Configuration continentale vers la fin du crétacé.
Figure 7 : Schéma structural du « bombement » nubien
Figure 8 : Cours du Nil et structures tectoniques dans les segments à cataractes |
Les processus volcano-tectoniques qui déterminent un tel développement à l'échelle continentale dérivent de l'évolution d'un « panache chaud » remontant de la matière depuis l'interface entre noyau et asthénosphère (2500km) jusqu'au manteau supérieur à la base de la lithosphère (formation du « mantle plume ») (Thompson & Gibson 1991, Pirajno 2007). Les panaches peuvent avoir une origine moins profonde (670km).
Cette topographie est modulée par un effet lié aux « failles d'effondrement » connu comme le rebond produit au « mur » (au dos) de la faille (footwall uplift) et illustré par le schéma (Figure 3) du glissement de blocs « rigides » reposant sur un milieu porteur beaucoup moins rigide (Heiskanen & Meinesz, 1958 ; Thompson .& Parson, 2009). C'est à partir de l'exemple du rift et des plateaux d'Ethiopie et du Kenya que des calculs théoriques ont été effectués. On remarquera qu'aux élévations actuelles de 2000 à 2500m des bordures de plateaux du rift correspondent des creux (graben) partiellement remplis par 6000 à 7000m de sédiments.
Les modifications des sources d'alimentation des cours d'eau et du drainage ont par conséquent été profondes au cours de l'évolution du rifting de l'est africain : perturbation de la circulation atmosphérique des moussons par les reliefs orientaux privant d'eau le drainage centre africain (Hassan et al., 2004 ; Ghoneim et al., 2007). Erosion profonde (transport en masse de sédiments) et architecture nouvelle du drainage sont les conséquences de l'activité de la tectonique (les failles) et des volcans. L'impact régional sur la morphologie de l'aire touchée par l'évolution du panache « Ethiopien », en particulier avec l'ouverture et l'expansion de la mer rouge à partir de 16-14Ma (Bosworth et al., 2005), s'étend largement vers le nord. Issue d'une zone supposée correspondre aux effets immédiats du « toit du Panache » l'influence thermique déborde de façon dissymétrique sur l'axe d'expansion de la Mer Rouge (Figure 4).
De part et d'autre des rives de la Mer Rouge s'alignent des chaînons montagneux (sommets principaux de l'Egypte et l'Arabie Saoudite) formés de « blocs basculés » limités par de grandes failles identiques à celle du schéma du bas de la figure 3. Ainsi l'aire de drainage du cours du Nil et de ses principaux affluents, tous majoritairement situés à l'est et au sud de son cours, est balisée par des montagnes constituées par les épaulements occidentaux du rifting Néogene (1,8-23 Ma).
A son entrée au Soudan, le Nil blanc voit son profil d'écoulement décroitre sévèrement (80 m de dénivelé sur un cours de 1750km) entre Juba et Khartum. Au contraire, lors de la traversée du massif Nubien entre Khartum et Assouan, le profil d'écoulement s'accentue fortement (290m sur 1840km) et devient l'un des éléments à l'origine des six cataractes qui vont permettre de passer d'un bas plateau soudanais, au Nil égyptien (90m pour un cours de 1200Km) (Teodoru et al., 2006). L'écoulement du fleuve et la tendance ou non à inscrire son cours dans la topographie dépendent encore du niveau de base hydrologique : le niveau de la méditerranée. Or, vers 5Ma le niveau de cette mer a fortement fluctué et laissé une empreinte marquée par une profonde vallée fossile sous le tracé égyptien actuel du cours (Williams & Talbot, 2009, Dumont, 2009. Le Nil Nubien actuel présente la particularité d'entailler le socle précambrien sur sa trajectoire et par conséquent de s'encaisser moins aisément que dans les formations sédimentaires sablo-calcaire du Tertiaire ou les grés Nubiens (Crétacé) qui coiffent directement ce socle.
Le socle précambrien appartient à la chaîne Panafricaine d'Afrique orientale « chaîne Mozambicaine » (figure 6) qui, entre 750Ma et 550Ma, va souder deux continents Gondwaniens : à l'Est Madagascar et l'inde, à l'ouest, le craton du Congo et d'Afrique occidentale (Stern & Abdelsalam, 1993 ; Blasband et al., 2000 ; Kröner & Stern, 2004 ; Abdeen & Greiling, 2005 ; Alemu & Atebe ,2007). Les grandes structures panafricaines sont des domaines de déformation de direction NE-SW recoupées et décalées plus tardivement (600-550 Ma) par des zones de cisaillement sub-verticales et des granites associés (Figure 7).
Au premier ordre, les boucles décrites sur le socle nubien s'inscrivent totalement dans les lignes structurales régionales dominantes du socle Précambrien et de l'histoire du Crétacé (Abdelhakam & Sayed, 2008). L'observation au deuxième ordre du tracé en baïonnettes sur chacun des segments, ainsi que le « saut » effectué par le cours d'une direction à l'autre pour former les « boucles » peut-être faite à partir de l'imagerie satellitaire et l'examen de terrain. Seule la 2nde cataracte (actuellement submergée) a été étudiée en détail sur le terrain par Maley (1970).
-Capture du cours par un affluent ou une zone de fractures : le passage du tronçon N-S à NE-SW entre la 5ème et 4ème cataracte illustre ce que peut-être une capture, telle celle probable immédiatement au nord de la 4ème cataracte. Une modification de la surface d'écoulement très faible, une crue exceptionnelle, suffirait à court-circuiter l'angle d'Abu Hamad par un tracé plus direct au sud (figure 8).
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